Notre lieu de vie, maison ou appartement, entouré de murs, nous protège contre l’extérieur : cocon où l’on se réfugie, fermeture au monde, ou liberté retrouvée, enfin seuls ? Je n’ai vraiment l’impression que je suis libre que lorsque je suis enfermé. Lorsque je fais tourner la clef ce n’est pas moi qui suis bouclé ce sont les autres que j’enferme a dit Sacha Guitry, démontrant dans cette phrase l’ambiguïté qui nous anime :à la fois chez nous, dans un espace clos, mais libre du regard d’autrui, comme dans un espace très grand, ouvert sur le monde.
© Marie Chapuis
La maison nous permet de préserver et développer notre intériorité
La maison nous permet de préserver et développer notre intériorité, notre monde intime, notre individualité.
A l’abri dans nos habitacles, nous pouvons nous retrouver, nous recueillir, nous nourrir, nous reposer, nous cultiver, nous détendre, nous aimer, avant de repartir dans le grand bain sociétal et professionnel ! L’individu contemporain a pris goût à ses murs, s’éloignant de plus en plus de l’état de nomade, où pourtant l’homme est resté longtemps.
En 6 ou 7 millions d’années d’existence, l’hominidé est devenu sédentaire depuis à peine 10000 ans. Nous avons donc reçu dans nos gênes, cet héritage ancestral du nomadisme.
Est-ce cela qui explique notre fort attachement, très actuel, pour tout ce qui est notre habitat, nos décorations, nos objets, nos souvenirs ? Avons-nous peur de nous retrouver sur les routes, démunis, errant, sans repères, soumis aux aléas des conditions climatiques ?
L’intérieur de la maison est le reflet de notre intériorité psychique. « La maison, c’est le moi » disent les psychanalystes. La maison a pour signification symbolique l’être intérieur.
Chacun investit très particulièrement son lieu de vie
Pour certains, l’appartement ou la maison représente le sentiment de sécurité, le besoin d’avoir son chez soi, à son image, avec ses souvenirs, ses objets, ses liens avec l’extérieur : lieux des réunions amicales, des fêtes, des événements familiaux, ou bien lieu de solitude, de ressourcement ou lieu du couple.
Pour d’autres, un sentiment d’enfermement domine, et rien ne va les satisfaire plus que de parcourir le monde, logeant à l’hôtel, lieu de vie impersonnel, où l’on n’est pas chez soi, justement…
Pour d’autres encore, une maison chasse l’autre : une fois achetée, rénovée, aménagée, la maison est vendue pour en acheter une autre, à nouveau rénovée etc…
Pour beaucoup d’entre nous, une maison de l’enfance reste pour toujours gravée dans la mémoire, source des souvenirs les plus tendres et des rêves récurrents : maison de famille, ou maison de vacances chez les grands parents, ou premier lieu où on a habité, tout petit. La force du souvenir nous attache pour toujours à un décor, une atmosphère, qui nous a imprégné.
L’individu a construit ainsi, depuis peu au regard de l’échelle de la vie humaine sur terre, une individualité de plus en plus forte. La maison représente cette construction de soi, elle en est un révélateur. Elle est aussi, encore de nos jours, un signe de sa réussite sociale. Elle représente la sécurité, si on devient propriétaire : on est chez soi, personne ne peut venir nous déloger, nous expulser ! Mais pour d’autres aussi, être propriétaire est source de peurs, d’angoisses insurmontables. Etre privé de son chez soi, être à la rue, est pour nous synonyme de dégradation sociale, de la pire des exclusions : le « sdf » n’est quasiment plus un être humain, il est dans une catégorie à part. Cette grosse peur de l’exclusion sociale irrémédiable est vissée en chacun de nous. D’ailleurs, on observe en effet qu’une fois dans la rue, l’individu n’a plus de repères et n’en sort que très rarement. Il n’a mentalement plus les « outils psychiques » pour se réinsérer.
Trouver un lieu qu’on imprègne de son odeur, de ses affaires personnelles, de son histoire et qu’on défend contre les intrusions : c’est notre part animale. Regardez votre chat quand il investit son panier !
Et l’intérieur de ce cocon, alors, qu’abrite-t-il ? Nos secrets, nos histoires, nos goûts, notre ambiance, les traces de nos échanges avec l’extérieur, notre univers mental. Besoin de désordre ? Besoin d’ordre ? Pour certains, le désordre est la vie même, dans ce qu’elle a de jaillissant, de créatif, de foisonnant. Pour d’autres, un certain ordre est nécessaire justement pour laisser l’esprit libre de vagabonder où il veut, dans un décor lisse… Chacun a une conception bien personnelle de l’ordonnancement des objets !
Le décor sera à notre image aussi
Nos couleurs, nos meubles, nos sièges, nos objets, ce qui orne nos murs, nos sols, les lumières, les tapis… Nos fenêtres, ouverture sur l’extérieur, voilages, entourages…
L’appartement comporte des pièces à usage particulier, reflétant les différentes strates de notre psyché : lieux de réception, interface intérieur/extérieur (entrée, salon), lieu de transformation, dédié à l’alimentation (cuisine), lieux de propreté (toilettes, salle de bain) lieu d’intimité (chambre) . Chaque pièce résonne en nous différemment, nous amène à entrer en contact avec une part psychique différente. Chaque pièce a ses ambiances, ses souvenirs…
Notre lieu de vie est devenu une part importante de notre identité, et à ce titre, il est important de s’interroger sur ce qu’on y a déposé de soi et comment on y vit.