Une polyphonie : deux histoires s’entrecroisent, en deux régions du monde séparées par un océan, et deux îles: Une ile en Colombie britannique, province de la côte Ouest du Canada, et l’île d’Honshu, où se trouve Tokyo, au Japon.
Deux destins qui se parlent.
Nao, jeune japonaise a écrit l’histoire de sa vie, et a jeté le manuscrit à l’océan, pour qui le trouvera et le lira. Comme une bouteille à la mer.
Ruth, écrivain en panne d’inspiration, trouve échoué sur la plage de l’ile du Canada où elle vit avec Oliver, un paquet bien ficelé, qui contient le manuscrit en anglais, des lettres en japonais, un écrit en français, une montre…
Et se plonge dans la lecture de la vie de Nao, se sentant interpellée, comme si Nao, qui s’adresse sans cesse au lecteur inconnu qui lira ses lignes, avait écrit pour elle.
Un dialogue intérieur, une tension s’installent. En effet, Ruth se sent de plus en plus impliquée dans l’histoire de Nao, et craint de lire la fin du manuscrit, car Nao évoque sa difficulté à vivre, et à trouver un sens, son attirance vers le suicide, en miroir face à un père dépressif et lui-même suicidaire.
La présence, en arrière plan, de l’arrière grand-mère de Nao, qu’elle appelle « ma Jiko », âgée de 104 ans, nonne, apporte sa sagesse discrète, son univers spirituel, et son histoire. Le drame japonais de la guerre est en filigrane, comme une explication au mal-être du présent. En effet, l’ancêtre, Haruki I, étudiant enrôlé de force comme kamikaze, est relié à Haruki II, le père de Nao, et donc à Nao elle-même. Il leur faudra comprendre et intégrer ce drame, pour sortir de l’attirance irrépressible pour le suicide.
La tradition du suicide au Japon, le combat entre la démission et la vie, le retour au pays, l’échec, le harcèlement (Ijime : persécution à l’école), la double culture, la spiritualité, le bouddhisme, la tension entre les valeurs morales et les exigences du travail, tels sont certains des thèmes du roman.
Les thèmes sont universels, et montrent la difficulté de vivre et trouver un sens dans le monde contemporain violent et contradictoire.
Le thème est en fait celui d’une difficile quête d’identité au travers d’une double appartenance : l’identité japonaise, et l’identité américaine, après une histoire où la guerre entre les deux pays est allée à un paroxysme. Et aussi, comment concilier la vie en ce monde technologique et informatique avec les blessures ancestrales et personnelles et les héritages culturels. Comment faire son chemin dans ces contradictions. Comment ne pas sombrer dans le vide et faire de tout cela quelque chose de lumineux et élevé.
A tale for the Time-Being est le titre en anglais.
L’être-temps est l’évocation de la notion du temps selon le maître zen Dogen, « notion que le maitre zen avait élaboré autour du temps une notion complexe et nuancée, que Ruth trouvait tout aussi poétique qu’obscure : Le temps est l’être lui-même et tout être est temps».
En même temps, toute la terre et tout le ciel
Ruth Ozeki
Editions 10/18
Parution : 2 avril 2015
600 pages
9,10€
Ruth Ozeki est elle-même de mère japonaise et de père américain. Elle est romancière, cinéaste, et bouddhiste zen, ordonnée prêtre en 2010.
Elle a écrit plusieurs romans et réalisé de nombreux documentaires. Elle vit en Colombie britannique, une région du Canada, et à New York.
Ruth, le personnage de En même temps, toute la terre et tout le ciel, est sans doute très proche de l’auteure. Le roman a été publié pour la première fois en 2013.
Site officiel : www.ruthozeki.com.
Page Facebook : www.facebook.com/ozekiland.
Page Twitter : @ozekiland.
Ce roman est passionnant, le destin de Nao, et celui de son père, nous interpellent, nous touchent énormément. Ce sont deux personnages perdus, accumulant en eux les chaos de l’histoire, et de la généalogie, et on comprend (et on espère !) qu’ils vont sans doute reprendre leur destin en main. Ce livre est l’écriture d’un chemin initiatique. On a hâte de retrouver le destin de Nao, comme Ruth, qu’on suit dans sa lecture progressive du manuscrit, dans ses recherches sur internet pour en savoir plus sur Nao, Jiko et Haruki.
Le livre contient aussi des termes japonais expliqués, des appendices sur le bouddhisme, la physique quantique. Ce livre est en fait une illustration vivante et proche de nous, de nos cheminements collectifs, et individuels actuels, accompagné de réflexions sur le temps, sur le sens de la vie, issus du bouddhisme, de la science.
Bien que pleins de références culturelles, ce livre n’est pas du tout « intello », il est romanesque et captivant. On peut se reconnaître dans les personnages, tous impliqués dans des préoccupations qui sont aussi les nôtres.