La mémoire est l’activité biologique et psychique consistant à emmagasiner, conserver et restituer des informations, selon la définition du Larousse. Chacune de nos cellules est dotée d’une capacité à mémoriser, condition nécessaire à sa survie. Chaque être, humain ou animal, est doté d’une capacité psychique à assimiler et engranger chaque seconde vécue. Mais la mémoire est loin d’être seulement une capacité de stockage et de restitution de données. Cette définition restreinte ne tient pas compte d’un fonctionnement essentiel du psychisme : le travail de l’inconscient.
L’ensemble des vécus mémorisés constitue un réservoir dont une grande partie est rendue inconsciente. En effet, la mémoire psychique effectue un « travail » de tri. Demeureront sous forme de souvenirs les événements accessibles à un effort de remémoration. Les autres tomberont dans les oubliettes de l’inconscient. Ce qui ne signifie pas qu’ils disparaissent ; ils demeurent bien vivants et constituent ce que nous nommons « mémoire implicite ».
La mémoire implicite
La mémoire implicite est tout ce qui se rappelle à nous sans que nous nous en souvenions : ce sont des réminiscences actives mais non conscientes. Elles apparaissent dans nos rêves, dans nos symptômes, dans les motivations en profondeur de nos actes. Ainsi les souvenirs de la petite enfance, jusqu’à environ 7 ans, sont, pour la plupart d’entre eux, frappés d’amnésie. Mais ces vécus de la petite enfance ont laissé en nous des traces durables, indélébiles. Les goûts, les tendances, les choix, les comportements de l’âge adulte sont issus de ce terreau : premières sensations, fonctionnements mis en œuvre dans les interactions avec l’environnement, émotions vécues sans filtre, événements, habitudes, etc.
Ces vécus oubliés de notre histoire sont transformés et réactualisés par l’activité psychique inconsciente. C’est ainsi que les pans entiers de notre histoire la plus ancienne agissent de façon permanente, en profondeur, à notre insu. Des traces mnésiques sont inscrites, comme des empreintes psychiques, influençant nos actions, nos choix, nos fonctionnements, et emplissent nos rêves.
Les souvenirs refoulés, qui n’ont jamais été conscients, et sont donc inaccessibles à la remémoration, sont les plus intenses et les plus tenaces.
La mémoire explicite
A côté de cette mémoire inconsciente, se trouve la mémoire explicite. C’est la mémoire des souvenirs conscients, qui se distingue en deux parties : la mémoire à long terme, celle des souvenirs, et la mémoire à court terme, utile quand nous accomplissons un travail.
Nous nous interrogeons beaucoup sur nos capacités mémorielles concernant cette mémoire consciente : la force de nos oublis, momentanés ou définitifs, notre faculté fluctuante à nous remémorer et nos défaillances en la matière provoquent en nous de l’inquiétude voire de l’angoisse.
En effet, la mémoire fait partie de l’identité. Elle nous relie au passé, à l’histoire, personnelle et collective. Elle permet de nous situer, de nous repérer dans l’existence. Elle est un élément indispensable à notre construction, y compris dans les acquisitions élémentaires qui nous font être humain : la marche tout comme le langage sont le fruit d’un processus de mémorisations très élaboré.
Or, cette mémoire consciente fait elle-même l’objet d’une action en profondeur de l’inconscient.
Qu’est ce qu’un souvenir ?
Les souvenirs sont les rappels de faits du passé, que nous sommes capables de restaurer en les racontant ou les visualisant. Il est intéressant de noter que dans les scènes que nous nous remémorons, nous nous voyons nous-mêmes agir, entièrement, comme seul un observateur extérieur aurait pu le faire. Dans le réel, nous ne nous voyons pas, bien sûr. Ceci suffit à montrer que le souvenir est en fait une reconstitution, entièrement élaborée.
Le fait dont nous avons le souvenir nous parvient déformé, réagencé par notre psychisme. De plus, il est parcellisé. Un élément précis apparaît éventuellement, le reste possède des contours moins nets. Et ceci que le fait soit lointain ou récent. Pour comprendre, il suffit de tenter de se remémorer la journée de la veille. C’est la plupart du temps un effort, qui s’avère quasi impossible.
Tout ceci ne montre pas une défaillance mais, au contraire, indique que le psychisme travaille, protège, soutient, et entraîne l’évolution personnelle. En effet, une mémoire qui serait purement accumulative et restitutive ne permettrait pas la réflexion, l’élaboration, la transformation, la créativité. Elle interdirait toute nouvelle assimilation et épuiserait rapidement les forces. Elle ferait tourner en boucle sur les mêmes éléments. La capacité mémorielle est un façonnement psychique de la mémoire et de l’oubli, faces réversibles du même phénomène.
L’oubli n’est pas non plus une défaillance de la mémoire, il est un élément structurel de celle-ci. En effet, la mémoire n’est pas statique. Elle est une fonction, elle travaille sans cesse les vécus. Ceux-ci, sous forme de souvenirs, sont soit oubliés, totalement ou partiellement, soit déformés. Le souvenir que nous retrouvons dans notre mémoire, est un pâle reflet du réel tel qu’il a été vécu.
Autrement dit, ce qui appartient aux souvenirs, c’est-à-dire tous nos vécus, conscients ou plongés dans l’inconscient, ne s’effacent pas et font l’objet de transformations par notre psychisme.
La mémoire personnelle permet à chacun de se percevoir comme une seule et même personne, en des circonstances et des lieux différents. Elle offre ce continuum sans lequel nous aurions un sentiment de dépersonnalisation. Elle fonde notre conscience d’être. Elle est le socle de notre identité.
La mémoire collective
À côté de cette mémoire personnelle, existent des mémoires collectives.
L’individu humain fait toujours partie d’une famille, d’un groupe, d’un pays. Il baigne dans un tissu social constitué de mémoire aussi.
Sur le plan de sa mémoire personnelle, il va assimiler des événements collectifs, dont il se souviendra toute sa vie. Ainsi, chacun a mémorisé ce qu’il faisait lorsqu’il a eu connaissance des attentats du 11 septembre, ou bien lors de la coupe du monde de 1998. Ces souvenirs d’événements collectifs forment une mémoire générationnelle.
La mémoire collective est, elle, inhérente au groupe. Elle transcende l’individu, se situe dans une sphère symbolique communautaire et se perpétue d’une génération à l’autre. Elle est l’objet de commémorations, de musées, de thèses d’histoire, d’ouvrages littéraires ou cinématographiques, de poèmes, de chansons. Les traumatismes et les grands événements fondateurs d’une société ont besoin d’être mis en mots, élaborés collectivement. Ainsi, cette mémoire façonne le groupe en profondeur. Grâce à cette symbolisation, la mémoire collective se perpétue et fait évoluer le groupe social.
Une autre mémoire est celle dite « transgénérationnelle », constituée d’une transmission inconsciente des mémoires de nos ancêtres. Les événements marquants, traumatiques et non-dits, les secrets de famille marquent l’inconscient familial et se transportent d’une génération à l’autre sous forme de répétitions, de reproductions, d’analogies de destin.
Conclusion
C’est en puisant dans le grand réservoir des mémorisations que l’on se dirige. On y trouve les références utiles et les ressources nécessaires à la vie. Et c’est en continuant à mémoriser que l’on évolue, apprend, développe de nouvelles capacités tout au long de la vie. Nos mémoires sont multiples, mouvantes, chargées d’inconscient. En un mot, vivantes.