Nous baignons dans un univers d’objets. Et aucun d’entre eux ne nous est indifférent. Il nous arrive d’éprouver un attachement pour certains, soit parce qu’ils nous rappellent une personne, un événement, ou une période de notre vie, soit parce que nous les trouvons beaux, soit parce qu’ils ont coûté cher…
© Zarya Maxim
Notre attachement aux objets
Nous aimons tel objet de décoration, tel meuble, tel vêtement. Et nous ne voudrions pas nous en séparer.
Parfois un peu d’ordre est nécessaire, il faut faire de la place, celle-ci n’étant pas extensible, afin de renouveler ces objets. Cela nous oblige à faire un tri, à jeter, à donner. Nous faisons tous cette expérience, parfois douloureuse. Nous gardons des vêtements, même confinés dans l’armoire depuis longtemps, nous disant : « je le porterai à nouveau, peut-être, un jour ». Justifiant notre envie de le garder. En souvenir, ou pour ne pas jeter quelque chose qui nous ressemble, qui nous rappelle tant de vécus…
Certains ont une tendance à conserver, qui se justifie par le désir de faire des économies, ou de préserver la planète en étant moins consommateur, avec par exemple une pratique de rénovation, de remise en état des anciens objets. Autrement dit, une gestion économe et planifiée des objets.
Nos premiers objets d’attachement sont les jouets. Nous avons tous connu, enfant devenu grand, l’étape importante dans notre vie qui consiste à nous séparer de nos jouets. Il est souhaitable qu’elle soit bien menée, vécue en plusieurs étapes, parlée, ritualisée (les expériences qui consistent à retrouver un jour en rentrant du collège sa chambre vidée des joujoux de l’enfance, ou sa peluche préférée dans une poubelle, jetée en notre absence, peuvent être des vécus traumatiques). Les jouets sont d’importants supports de projections, d’identifications. Ils sont investis affectivement et sont à respecter en tant que tel, pour mener une bonne séparation d’avec l’enfance.
Le rapport aux objets est donc loin d’être neutre, et chacun entretient une relation particulière à ce monde matériel qui nous entoure depuis l’enfance, ayant plus ou moins de difficulté à s’en détacher, avec des propensions plus ou moins fortes à garder ou au contraire à faire le vide.
L’accumulation compulsive d’objets
Mais pour d’autres, se séparer des objets est particulièrement difficile.
Cela se manifeste alors sous forme de compulsion à conserver toutes sortes d’objets inutiles, à ne pas supporter de jeter, à accumuler, encombrer d’objets hétéroclites son appartement ou sa maison, sans aucun ordre. Une compulsion est un comportement dont on est prisonnier, conscient ou pas, et qui s’impose à nous de façon contraignante : on ne peut littéralement pas agir autrement. Il existe donc une compulsion consistant à être dans l’incapacité de jeter le moindre objet, à conserver toute chose « qui pourra servir un jour », quel que soit son état, et la place qu’il prend.
L’accumulateur d’objets se voit envahi, la moindre place est occupée par des ustensiles, des bibelots, des appareils de toutes sortes, les pièces sont pleines à craquer, tout est conservé. A ce degré élevé, un nom savant est donné à ce comportement : la syllogomanie ou thésaurisation pathologique.
Dans des cas très graves, il devient difficile de circuler dans la maison ou l’appartement du syllogomane, l’espace vital étant réduit au minimum. Il s’agit là de maladies psychiatriques. Dans ces pathologies, le rapport au monde est coupé, la personne se replie entièrement sur elle, les objets constituant une sorte de rempart contre le monde extérieur, une frontière infranchissable. Une caverne psychique est symbolisée par l’entassement d’objets.
Sans parler de ces cas extrêmes, la syllogomanie consiste à avoir d’énormes difficultés à jeter, même des objets parfaitement inutiles (« un jour ça peut servir ») ou cassés (« dans le but de les réparer ») et sans que la valeur marchande soit le critère de sauvegarde. Il y a une vraie souffrance à jeter. Et un encombrement, de ce fait, du lieu de vie, dont la fonction première passe au second plan. Certaines pièces peuvent être utilisées uniquement à l’entrepôt des objets, les rendant inaccessibles. C’est le désordre, l’accumulation, l’encombrement. Terriblement anxiogène pour les visiteurs qui passent par là !
Un « TOC »
Accumuler de cette façon entre dans la catégorie des troubles obsessionnels compulsifs, c’est un « TOC ». Le TOC est une contrainte imposée à soi-même.
Le TOC sert à calmer des angoisses profondes dont la cause reste la plupart du temps inconsciente. Autrement dit, pour ces personnes, une profonde anxiété est ainsi canalisée. La présence des objets sert sans doute à se rassurer, à ne pas sombrer dans le vide existentiel.
Il existe une grande inconscience de leur état de la part des syllogomanes qui justifient de façon rationnelle, pensent-elles, le fait de conserver ainsi toutes sortes de matériel. Un grand nombre de raisons peuvent en effet être invoquées : l’objet est trop beau, on y est très attaché, on pourrait en avoir besoin, on va s’en occuper plus tard. L’accumulateur remet beaucoup à plus tard. L’objet n’est pas utile de suite. Il a un avenir supposé, sont utilisation est projetée dans le futur. Il pourra servir un jour.
L’accumulateur aime ses objets, et établit avec eux des liens affectifs. Ils sont un réconfort, et l’aident à vivre. Ils sont des sortes de présences rassurantes. Ainsi, l’objet étant investi d’amour ou de réconfort, il est d’autant plus difficile de s’en séparer. En effet, l’objet est une partie de la personne. S’en séparer est une déchirure.
Il y a un fort désir de contrôle de la part de l’accumulateur sur ce monde d’objets et un sentiment de pouvoir induit par la possession : ces objets lui appartiennent, il se les approprie très rapidement et totalement. Il ne faut pas confier la garde d’un objet à un accumulateur, il le fera sien aussitôt, et ne pensera pas vous le rendre. C’est aussi une compulsion à avoir pour soi, à posséder. Même le plus futile des objets. La capacité d’assimilation est fortement active.
L’explication psychanalytique, les causes possibles
L’accumulateur crée des liens très forts aux objets. Ceux-ci l’entourent en un cocon protecteur, en un tissu de relationnel. De quels autres liens les objets sont-ils les représentants pour l’accumulateur ? Qu’est ce qu’il recrée ainsi autour de lui, en remplacement de quoi ? Souvent ce type de compulsion intervient après une perte d’un être proche, une séparation, une absence, un départ d’enfant. Se retrouvant seul, un sujet peut alors compenser cette solitude avec de nombreux objets « vivants » autour de lui.
La perte et le deuil qui s’ensuit sont des processus de transformation essentiels, qui fondent l’évolution psychique de tout sujet. Nous sommes reliés par des liens affectifs puissants et l’épreuve de la perte ou de l’éloignement, ou du changement par rapport à ces liens, sont des étapes de construction, de renouvellement. Le deuil permet de transcender la perte, le psychisme élaborant un travail de créativité, aboutissant à une réparation, à une renaissance suivant la perte. Cette créativité indique que la transformation a lieu et permet au psychisme de quitter la répétition. A contrario, dans le cas de deuil non abouti, la répétition s’installe : tel est le cas de l’accumulation d’objets, pratique sans cesse recommencée à l’identique, qui donne l’impression que le sujet tourne en boucle sur de sempiternelles croyances fortement ancrées (« ça me servira un jour » par exemple). On pourrait presque dire que l’habitude de l’accumulation est à l’opposé de la créativité de la vie. Ce comportement semble compenser la non-acceptation d’une perte par de l’accumulation.
Le rapport de profusion aux objets est corrélé à la notion d’encombrement psychique. Un fonctionnement psychique enfermé, où plus rien de nouveau ne s’assimile, sans renouvellement et sans aspérités ou émotions vivaces. De même le comportement est entièrement consacré au culte de l’objet indifférencié : chaque nouvel arrivant est aussitôt entreposé parmi les autres, pas plus ni moins important qu’un autre. Il n’y a pas de différence de valeurs entre les objets. L’investissement psychique comme l’espace physique sont colonisés par la présence des objets ; niant la circulation, la fluidité, le vécu de la perte.
Chaque objet fait partie de la personne, et l’obliger à jeter porte atteinte à son intégrité, à sa sécurité interne.
Comment soigner cette pathologie ?
Une personne ne peut s’occuper de faire évoluer un fonctionnement que si elle a le recul nécessaire pour se rendre compte que son fonctionnement lui est néfaste. Or, la plupart des accumulateurs d’objets raisonnent et se persuadent que ce qu’ils font est utile, efficace, frappé du bon sens.
Cependant si un accumulateur vient à consulter, il faudra travailler d’abord sur les causes : parler des pertes qui n’ont pu être élaborées, donc accomplir les processus de deuils nécessaires. A cette condition, le sentiment d’être soi grandira et la prise sur l’objet pourra se desserrer, la personne pourra déplacer son investissement vers l’objet pour opérer une transformation, une évolution qui s’était arrêtée.
Au cours de ce processus, différentes actions pourront commencer à être réalisées : un désencombrement progressif de l’espace habité, un rangement, un tri. Les rituels peuvent apporter une aide. Les ressources créatives du sujet seront petit à petit éveillées et contribueront à l’élaboration du changement intérieur et extérieur.
Merci pour ces éclaircissements. Très intéressant