L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage - Haruki Murakami

Tsukuru Tazaki, tokyoïte trentenaire, raconte son itinéraire de vie à une jeune femme, Sara, rencontrée récemment, intriguée et qui le guide pour retrouver ses souvenirs et le sens de son histoire.

En effet, la vie de Tsukuru est celle d’un solitaire, ressentant peu de désirs, et aux sentiments émoussés. La seule chose qu’il apprécie vraiment est s’asseoir sur un quai de gare et se laisser imprégner par l’ambiance des immenses gares de Tokyo, qu’il connaît bien puisqu’il est ingénieur, et travaille à leur construction dans une grande entreprise.

Il se considère lui-même comme étant « sans couleur », sans aspérités, sans intérêt. Bref, Tsukuru, tout en s’intégrant parfaitement à la vie moderne et concrète, se sent en fait très vide au fond de lui.

Seule Sara s’en rend compte et l’incite à chercher les causes de son mal-être. « Quelque chose est noué en toi, di Sara. Quelque chose que tu n’as pas accepté. Le flux nature de ton être en est bloqué »

Tsukuru, à l’entrée de l’âge adulte,  a vécu un évènement douloureux qui a fait basculer sa vie dans le néant.

A l’adolescence, Tsukuru fait partie d’un groupe de cinq amis, deux garçons et deux filles inséparables. Tous portent des prénoms couleur, sauf Tsukuru : Il y a Noire, Blanche, Bleu et Rouge. Au moment des choix d’études, il est le seul à aller à l’université à Tokyo, donc à quitter leur ville. Mais dans un premier temps, cela ne change rien. Il revient et le groupe se reconstitue exactement comme ils s’étaient quittés.

Cependant, à la fin de sa deuxième année universitaire, alors qu’il est de retour dans leur ville et cherche comme d’habitude à les revoir, il reçoit l’appel d’une de ses amies du groupe : elle lui déclare qu’ils ne veulent plus le voir. Que c’est définitif et sans appel. Que tout le groupe est d’accord avec ça, qu’il est inutile de chercher à leur parler dorénavant.

S’ensuit pour Tsukuru plusieurs mois de sidération et de dévastation : Alors, il ne se passe pas un instant de sa vie sans qu’il ne pense à la mort. La rupture brutale de cette amitié de ce lien très fort qui l’unissait aux autres le laisse vide. « lorsqu’il ne pensait pas à la mort, il ne pensait à rien du tout »

Après ce séisme, il revient à sa vie, mais n’est plus le même, physiquement comme psychiquement. « cette longue période l’avait modifié, et remodelé en profondeur, corps et âme. »

16 ans plus tard, sa rencontre avec Sara, qui pour la première fois déclenche en lui quelque chose de fort, l’amène à  enfin oser se pencher sur son passé. Pourquoi a-t-il été ainsi rejeté ?

Il va rencontrer un à un chacun de ses anciens amis, et trouver petit à petit l’explication de ce qui s’est tramé alors entre eux à l’époque.

Cette découverte du fil de son histoire va l’amener à une transformation de son être.

L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage
Haruki Murakami
Éditions 10/18
Paru le 3 septembre 2015
360 pages
8,10€

 
HarukiMurakami © wakarimasita

© wakarimasita

Haruki Murakami est né à Kyoto en 1949. Il a écrit des romans, des nouvelles, des essais. Il a reçu de nombreux prix, et est pressenti pour le Nobel de littérature. Il est traduit dans de nombreux pays, ses romans ont beaucoup de succès. C’est un des auteurs japonais actuels les plus connus. Il décrit très souvent la solitude et l’errance de personnages en quête d’eux-mêmes dans un univers citadin très dépersonnalisant. Parfois ses romans sont imprégnés de fantastique, selon une tradition littéraire importante au Japon.

Et c’est un de mes auteurs favoris !

 
C’est l’histoire d’un trauma et d’une renaissance, magnifiquement décrits par l’auteur.

Ce roman raconte le parcours initiatique du personnage, à la recherche de la source de sa douleur, ce qui le ramène à lui-même et au monde.

Les mots de ses prises de conscience et de son cheminement sont d’une grande force et justesse psychologique.

On retrouve les thèmes favoris de Haruki Murakami et ceux qui aiment cet auteur vont apprécier de retrouver les nombreuses références à l’Europe, la musique, la cuisine, les détails pratiques, l’isolement, l’inhumanité de la vie en mégapole. On est conduit à partager la vie du héros, de façon très proche et à voir son intériorité s’ouvrir petit à petit à la lumière.

Son cheminement l’amène au surgissement d’états émotionnels qu’il avait refoulé en profondeur et à des prises de conscience.

« Il est certain qu’il y a chez moi, fondamentalement, quelque chose qui désappointe les autres. Tsukuru Tazaki manque de couleur, répétait-il à haute voix. Au fond, je ne possède rien en moi que je pourrais offrir aux autres. Ou pire encore, je n’ai rien à m’offrir à moi. »

« Je garde encore aujourd’hui le sentiment de terreur que j’ai éprouvé à l’époque. L’angoisse d’être soudain nié dans mon être même. »

« Tsukuru réussit alors à tout accepter. Enfin. Tsukuru Tazaki comprit, jusqu’au plus profond de son âme. Ce n’est pas seulement l’harmonie qui relie le cœur des hommes. Ce qui les lie bien plus profondément, c’est ce qui se transmet d’une blessure à une autre. D’une souffrance à une autre. D’une fragilité à une autre. »