En cette nouvelle rentrée sportive déjà entamée, je vous propose de vous présenter une activité physique dont vous avez déjà entendu parler et que vous avez peut-être même déjà essayée : le Tai Chi Chuan. Pour en savoir plus sur l’origine, les principes et la pratique de cet art martial, nous avons donc interviewé Philippe Schmidt, un professeur de Tai Chi Chuan au Petit Institut de Chine, une association située à Bordeaux dans le quartier de la Bastide (rive droite).
Origine et signification
So What? : Qu’est-ce que le Tai Chi Chuan ?
Philippe Schmidt : Le TAI CHI CHUAN est un art martial interne chinois d’origine taoïste. Souvent connu en occident comme une simple gymnastique douce, il est en fait bien plus riche que cela. De par son essence martiale, ce qui est mis en jeu dans la pratique du tai chi chuan peut intéresser beaucoup d’entre nous ; la recherche du calme intérieur, la relaxation, un centrage juste, un ancrage réel et efficace, la connexion à l’autre, une ouverture de conscience et enfin, et c’est qui est sans doute le plus étonnant, l’expression d’une force douce et efficace qui se substitue à la force musculaire. On dit que le tai chi chuan est un art martial interne car il travaille sur l’intention (le yi) et l’énergie (le qi) afin d’améliorer sa santé et son habileté martiale.
On connaît principalement l’aspect gymnastique et thérapeutique du tai chi chuan car c’est plutôt cet aspect qui s’est développé en Chine et à travers le monde lorsque Mao Ze Dong était au pouvoir. En effet, le communisme ne faisant pas bon ménage avec la spiritualité ou avec les arts martiaux qui pouvaient présenter un danger pour le gouvernement en place, Mao avait donc tout simplement fait interdire la pratique des arts martiaux et énergétiques (c’est pourquoi de nombreux maîtres ont émigrés à l’étranger pour pouvoir continuer à pratiquer leur art). Comme il s’agissait quand même d’arts chinois ancestraux, Mao ne voulait ou ne pouvait pas complètement les faire disparaître, il les a donc fait évoluer vers des disciplines gymniques et sportives vides de leur sens martial et énergétique.
De ce que j’en comprends aujourd’hui, je pourrais dire que le tai chi chuan est un art infiniment complexe. Il est à la fois un art martial terriblement efficace, une formidable gymnastique de bien-être mais également, une voie spirituelle d’accomplissement (en lien avec les philosophies taoïste et confucéenne).
S.W. : Mais d’où vient le Tai Chi Chuan?
P.S. : Certaines légendes attribuent l’invention du taï-chi-chuan au taoïste semi-légendaire Zhang Sanfeng, vers le XIIIe-XIVe siècle. Il existe également plusieurs autres théories sur sa création, mais l’on retient généralement celle de Zhang San feng.
S.W. : Quelle est la signification de Tai Chi Chuan?
P.S. : Le meilleur moyen de ne pas s’égarer est encore de revenir directement aux sinogrammes qui composent l’expression TAI JI QUAN.
- TAI : signifie «extrême», «très», «trop».
- JI : dans ce caractère, on a une représentation d’un arbre et de ses racines qui fait référence à tout ce qui est fait de bois. Pour Cyrille J.- D. Javary (« Le discours de la tortue » aux éditions Albin Michel) : «On distingue un être humain placé entre ciel et terre (les deux traits horizontaux) et encadrés par les signes de la parole et de l’action». Il en déduit que «L’ensemble de l’idéogramme évoque donc un objet façonné en bois et situé deux fois à la jonction entre les éléments d’une dualité concertante. Sur la nature de cet objet, tout le monde est d’accord. Il s’agit de la poutre maîtresse, celle située au plus haut de la charpente et sur laquelle s’appuient et se rejoignent les deux pentes du toit». JI est donc la poutre faîtière sur laquelle repose l’équilibre de l’édifice, son maintien et sa force. JI signifie aujourd’hui par extension «sommet», «point le plus élevé», «extrême».
- QUAN : est la «main roulée sur elle-même», le poing. QUAN peut signifier aussi bien le poing que l’art du poing (la boxe).
Ainsi, on a donc TAI JI QUAN: «La boxe de la poutre faîtière très extrême».
Cyrille J.-D. Javary apporte les éclaircissements suivants sur l’expression TAI JI : «Dans une perspective du YIN/YANG, toute chose une fois parvenue à son extrême se transforme en son contraire. En mettant l’accent sur l’extrême de sa grandeur, la présence de ce superlatif (TAI) opère comme une sorte de présélection du sens, insistant sur la future transformation qui attend cette grandeur». En effet, la poutre faîtière est l’endroit où la pente du toit change de sens. TAI JI est donc «le grand retournement», ou «la grande transformation» (du YIN en YANG et vice-versa). C’est l’endroit où tout commence et où tout se termine.
Le TAI JI QUAN devient ainsi « la boxe du grand retournement ».
S.W. : Le Tai Chi Chuan est un art martial interne, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
P.S. : Je suis bien embêté par cette question pour deux raisons… La première est que mon expérience sur le sujet manque encore de profondeur et de compréhension et la deuxième raison, est que le processus mis en jeu dans les arts internes dépasse de tellement loin tout ce que l’on peut avoir déjà ressenti corporellement que c’est très difficile à mettre en mots.
Je vais quand même tenter une explication.
Généralement, on classe les arts martiaux en deux familles distinctes. Les arts martiaux dit « externes » (comme le karaté, le kung-fu, les boxes occidentales, etc.) qui sont basés principalement sur la force musculaire et les arts martiaux dit « internes » qui utilisent une force douce que les chinois appellent JING.
Pour pouvoir faire naître et utiliser cette force JING, nous allons chercher à relaxer les muscles au maximum et à garder les articulations « ouvertes » (c’est-à-dire qu’il ne faudra pas qu’elles soient verrouillées) afin de faire naître des espaces dans le corps (des vides) dans lesquels l’énergie va circuler.
Le tai chi chuan se travaille très lentement durant de nombreuses années car la lenteur est l’un des
moyen le mieux approprié pour trouver le relâchement le plus profond. En effet, l’un des buts et des moyens de notre étude est la relaxation, aussi bien corporelle que mentale car de la qualité de cette relaxation dépendra la bonne circulation du qi (ou énergie) et donc de la force JING. Une fois que l’on est capable de garder sa relaxation dans le mouvement, on pourra évidemment pratiquer à une vitesse normale.
Une autre raison pour laquelle le tai chi chuan s’étudie dans la plus grande lenteur et la plus grande douceur est que nous cherchons à mettre en place un rapport différent à l’autre. Dans les arts de combats qui vont privilégier la force musculaire, deux forces vont alors s’affronter et la plus grande gagnera. Dans les arts internes, nous allons nous « connecter » énergétiquement à notre adversaire, puis accueillir sa force pour la neutraliser, la vider de toute substance. De cette façon là, nous « coupons » ses racines et la possibilité même d’exprimer pleinement sa force. C’est comme si tout d’un coup, il se retrouvait sans aucune force. C’est évidemment très compliqué à expliquer car c’est quelque chose qui est tellement inhabituel qu’il faut le ressentir pour comprendre vraiment ce dont il s’agit. Le mieux est d’aller dans un cours de tai chi chuan qui propose ce genre de travail.
S.W. : Existe-t-il plusieurs formes de Tai Chi Chuan? Quelle forme enseignez-vous ?
P.S. : Il existe 4 principaux styles de tai chi chuan : les styles YANG, CHEN, SUN et WU.
Le style que je pratique et enseigne est le style du maître Cheng Man Ching (1900-1975). On peut dire qu’il s’agit d’un style YANG car Cheng Man Ching avait étudié avec le maitre Yang Cheng Fu (le petit-fils du créateur du style YANG) durant une dizaine d’années. Il a ensuite apporté quelques modifications importantes dans ce style et c’est pourquoi ce style porte son nom. Je travaille actuellement avec Wolfe Lowenthal, qui a été élève de Cheng Man Ching à New-York dans les années 1970.
Les principes
S.W. : Quelle est la philosophie du Tai Chi Chuan ?
P.S. : En tant que voie spirituelle d’accomplissement, le tai chi chuan mène vers l’ouverture du cœur et l’amour.
S.W. : Et quels en sont les grands principes ?
P.S. : Cheng Man Ching parle des « trois trésors » comme des principes importants qui guident notre pratique. Premier principe, trouver la connexion au ciel. Deuxième, laisser le poids descendre au milieu des pieds. Et enfin, le « coeur-esprit » et le QI se gardent mutuellement dans le DAN-TIAN.
S.W. : On a tendance à avoir des idées reçues concernant le Tai Chi Chuan, par exemple, on considère la pratique comme une gymnastique douce chinoise ou une pratique pour les personnes âgées ou encore une pratique mystique… Selon vous, pourquoi a-t-on cette image de cette discipline ?
P.S. : Tout d’abord parce que toutes ces idées sont vraies, le tai chi chuan comporte toutes ces facettes (et même d’autres).
Mais la raison principale est parce qu’au milieu des années 80, les magazines féminins ont commencé à vendre le tai chi chuan comme une gymnastique de santé, voire parfois une discipline spirituelle, mais pratiquement jamais comme un art martial. Dans un sens, ils n’avaient pas tort puisqu’en Chine, c’est ainsi qu’il était principalement pratiqué dans ces années-là. On y voyait surtout des personnes âgées pratiquer le tai chi chuan dans des parcs, et lorsqu’elles étaient interviewées par des journaux occidentaux, elles ne parlaient que de l’aspect santé, les autres aspects leur étant interdits (les personnes qui continuaient à en pratiquer la facette martiale et énergétique devaient se cacher pour ne pas être emprisonnées).
Actuellement, la presse continue de plutôt parler des bienfaits thérapeutiques du tai chi chuan, c’est ainsi…
S.W : Que dire aux personnes qui ont ces idées reçues pour les intéresser à cette pratique ?
P.S. : Je ne sais jamais trop quoi dire… De venir essayer et voir si cela fait écho à quelque chose.. ?
S.W. : Quels sont les bénéfices d’une pratique de Tai Chi Chuan ?
P.S. : Au niveau de la santé, la pratique du tai chi chuan permet d’améliorer certains problèmes cardiaques, d’ostéoporose, d’arthrose, les douleurs de dos, l’équilibre, etc. Sur le plan spirituel, le travail de la relaxation en profondeur et une autre compréhension du rapport à soi et aux autres apportent indéniablement une plus grande sérénité.
Évidemment, cela prend des années et des années avec un travail important pour y arriver. Mais la chose importante à dire ici est que même si cette étude s’accompagne de moments difficiles, de doutes, d’incompréhensions (comme toute voie spirituelle), depuis que je pratique cet art, il n’y a pas un jour où je ne vais mieux et où je ne m’émerveille de ce que je découvre et ressens.
La pratique
S.W. : Faut-il une tenue particulière et du matériel pour pratiquer?
P.S. : Dans notre école, il n’y a pas de tenue vestimentaire particulière. C’est ainsi le premier pas vers le détachement des idées reçues (à commencer par celui du joli kimono en soie). On vient donc au cours comme on est habillé dans la journée (notre style de tai chi chuan ayant des postures très hautes, cela n’est pas gênant). Il faudra ensuite acquérir une épée en bois lorsque viendra le moment de l’étude de l’épée.
S.W. : A quel âge peut-on commencer à faire du Tai Chi Chuan et jusqu’à quel âge ?
P.S. : Je ne le conseille généralement pas aux enfants, car c’est un art trop introspectif et trop statique au début (je leur recommande plutôt de pratiquer le kung-fu). Mais cela dépend aussi de la maturité et de la nature de l’enfant, certains sont tout à fait aptes à commencer jeunes. C’est à voir au cas par cas. Ensuite, on commence quand c’est le moment… et on peut pratiquer jusqu’à la fin de sa vie…
S.W. : Comment se déroule un cours et plus particulièrement l’un de vos cours ?
P.S. : Et bien, cela dépend des années… Cela ne fait que cinq ans que je l’enseigne, et je cherche encore une formule « efficace ». Donc, chaque année, je modifie mon plan de cours en espérant améliorer ce qui ne fonctionne pas. Je cherche à mettre en place une séance qui reste assez légère pour l’élève et qui en même temps, lui permette de travailler en profondeur. Ce n’est pas évident.
Alors parlons de la « formule » de cette année. Un cours débutant dure 1h. Nous commençons par une série d’exercices qui nous permettent de rentrer petit à petit dans la pratique, des exercices qui travaillent sur le relâchement, l’axe et l’équilibre. Ensuite, nous travaillons sur l’enchaînement, puis, nous faisons du travail à deux avec des exercices qui nous permettent de mieux comprendre comment nous relâcher plus profondément, trouver notre axe, la connexion, etc. Nous finissons généralement le cours en refaisant les mouvements de l’enchaînement et enfin par une petite marche méditative.
Ensuite dans le cours des « avancés », nous continuons notre travail sur la relaxation, qui est la clé de voûte de notre école, et nous approfondissons nous compréhension de l’enchaînement et des principes. Nous commençons également le travail à deux avec l’apprentissage des « tuishou codifiés » et du « dalu ». Les « tuishou » ou (« mains sensibles » selon l’appellation qui est faite dans l’école Long River Circle) est un exercice à deux qui sert à comprendre et à ressentir les énergies subtiles yin et yang. Viendront ensuite l’étude de la forme à l’épée et de l’escrime.
S.W. : Le Tai Chi Chuan est une pratique personnelle évolutive qui demande un investissement régulier, pouvez-vous nous en dire plus ?
P.S. : L’évolution vient avec nos besoins. Une chose importante est de ne pas se forcer. Si on ressent le besoin de s’entraîner peu ou beaucoup, on doit suivre son envie. Ensuite, si l’on désire progresser, il faut comme dans toute pratique, beaucoup de rigueur et de méthode. Une chose importante et de suivre son intuition (le fameux « coeur-esprit ») pour sentir ce que l’on a besoin d’étudier et surtout d’aller explorer des zones que notre mental ne nous permettrait pas d’aller parcourir.
Cheng Man Ching parlait de trois facteurs qui empêchent la progression. La peur, le manque de persévérance et l’avidité.
Le Petit Institut de Chine à Bordeaux
S.W. : Pouvez-vous, Philippe, nous expliquez votre parcours et ce qui vous a amené à pratiquer le Tai Chi Chuan et ensuite à l’enseigner ?
P.S. : J’ai commencé par pratiquer le kung fu en 1988 (à 17 ans). J’ai aussitôt accroché avec cette discipline et dès ma première année, j’avais l’idée de l’enseigner (j’ai commencé à donner des cours aux enfants avec mon enseignant lors de ma 2ème année de pratique). J’ai ensuite ouvert mon premier cours de kung-fu en septembre 1993. Mon tournant vers le tai chi chuan s’est produit en 2005. Je savais que je viendrai un jour à cette discipline car je l’avais un peu pratiquée avec mon premier professeur de kung-fu et j’avais beaucoup apprécié. De 2000 à 2005, j’ai pratiqué un style de kung-fu traditionnel qui était assez éprouvant pour le corps et surtout, j’ai pris conscience qu’en prenant de l’âge, ma puissance faiblirait. Je me suis donc tourné vers le tai chi chuan. Et vraiment, J’y trouve absolument tout ce que j’en supposais et espérais.
S.W. : Pouvez-vous nous présenter les différentes disciplines martiales pratiquées au sein du Petit Institut de Chine ?
P.S. : Au Petit Institut de Chine, nous voulons être le lieu sur Bordeaux où les amoureux des arts martiaux chinois peuvent se retrouver entièrement. C’est pour cela que nous offrons la possibilité de pratiquer 3 styles de kung-fu différents. Du wing chun (le style de Ip Man), du jeet kune do (le style de Bruce Lee) et du kung-fu «sportif» (le style de Jet Li). Et bien entendu, pour ceux qui cherchent un art martial interne, ils pourront trouver du tai chi chuan. On peut également trouver au sein de l’institut des cours de qi gong, qui bien que n’étant pas une discipline martiale aide à travailler sur l’énergie.
S.W. : Quelles sont les nouveautés pour cette année ?
P.S. : Il y a pas mal de nouveautés cette année à l’institut. Tout d’abord, un nouveau cours de langue chinoise avec deux enseignants passionnés par la langue et la culture chinoise, qui proposent des cours qui s’adressent aussi bien aux grands débutants qu’aux initiés et ce, dès 7 ans. Il y a ensuite les deux nouveaux styles de kung-fu (wing chun et jeet kune do). Et enfin, trois nouveaux praticiens en shiatsu, ortho-bionomy et sacro-cranien qui viennent rejoindre l’équipe « Bien-être » déjà en place.
S.W. : Merci à vous Philippe pour nous avoir aidé à mieux comprendre ce qu’est le Tai Chi Chuan.
Plus d’infos
Si vous vous voulez tester et/ou vous inscrire, n’hésitez pas à joindre le Petit Institut de Chine.
Le Petit Institut de Chine (P.I.C.)
14 Cours le Rouzic, 33100 Bordeaux
05.56.96.97.49
[email protected]
Page Facebook : Petit Institut de Chine
Tarifs pour le Tai Chi Chuan: 300€ l’année pour un cours par semaine ou 370€ pour assister à tous les cours de votre niveau qui ont lieu dans la semaine dans Bordeaux et environs (Latresne, Tresses, Villenave d’Ornon)
Tarifs pour les autres disciplines se rendre sur le site internet du P.I.C.
Pour les personnes qui n’habitent pas Bordeaux, je vous conseille de chercher un club ou une association où l’on propose du tai chi chuan qui réponde à vos attentes du moment.
*Merci Arnaud pour cet article très intéressant et approfondi. Personnellement, j’ai fait de l’aïkido et je retrouve des principes similaires avec ce qui est expliqué ici concernant cette forme de Taï Chi. Je pratique actuellement le Doa Yin, forme particulière et ancêtre du Chi Cong. On retrouve la relaxation, le travail sur l’énergie, la connexion au ciel et l’asise terrestre, la lenteur pour garder les articulations ouvertes etc… des similitudes, à chacun de découvrir une de ces pratiques, qui ont une philosophie et une conception de l’être fort intéressantes.