A l’heure des grandes migrations saisonnières, à l’époque de l’année où la vie parait quelque peu ralentie, d’un côté : plus de cris dans les cours d’école aux récréations, immeubles silencieux, transports aux horaires d’été, activités professionnelles parfois en mode « fin de cycle ». Et où, au contraire, tout prend des allures de cohue saisonnière, d’un autre côté, si vous êtes en région touristique : paysage humain tonitruant, bouchons routiers, festivals bondés, vos endroits agréables et tranquilles envahis, les prix qui grimpent…
« C’est les vacances ». Nos sacro-saints congés payés (pour les salariés j’entends !), hérités de nos avancées sociales des années 30.
Mais aujourd’hui, qu’en est-il réellement ? Vivons-nous une sorte de pression, qui consiste à se sentir obligé de partir, de « profiter » de ce temps pour aller voir ailleurs ? Nous sentons-nous libres de ne pas partir, de rester chez nous, à vivre autre chose, autrement ?
Tout le monde ne part pas en vacances bien sûr. Mais dans les commentaires sur ce sujet, aussitôt sont ajoutées des phrases un peu condescendantes, sur les inégalités sociales : ne partiraient pas uniquement ceux, les pauvres gens, qui vivent dans des conditions misérables et qui n’ont pas les moyens de partir. Oui, bien sûr, les situations financières ne permettent pas à tous de se payer des vacances ailleurs. Mais pointe un jugement qui est au final assez délétère.
Car, qu’en est-il de ceux qui font le choix de ne pas partir ? Et même si c’est par manque de moyens, ne peut-on pas vivre positivement le fait de rester chez soi ? Ne pouvons-nous pas en faire un vrai choix ?
Vivre des temps chez soi, qui ne soient pas de repli sur soi, de solitude aigrie, mais au contraire de ressourcement, d’épanouissement de la vie intérieure équilibre nos rythmes de vie de façon harmonieuse.
Être aux prises avec la vie sociale, professionnelle, en permanence, privée de moments d’être avec soi, seule face à nos questionnements. Ce temps chez soi est un temps réellement libre, qui permet de laisser émerger questions, projets, un temps de recul, de réflexions sur le monde, sur la place qu’on y occupe, sur les valeurs auxquelles on tient. Envahie d’informations, il nous faut des temps sans rien pour digérer, trier, compléter, réfléchir.
Un temps pour se poser, pour méditer, pour cultiver ses fleurs, pour écouter de la musique, pour… ne rien faire… Ne rien faire devient un luxe. Comment ne rien faire sans se sentir oppressé, stressé par les idées obsédantes invasives qui parviennent à se frayer un chemin : la liste de ce qui est à faire, le nombre de tâches à accomplir depuis longtemps et qui n’avancent pas.. que sais-je encore.. On se culpabilise de lâcher prise, on ne sait pas ne rien faire, constamment pressurisés par la vie trépidante et l’agitation mentale qui nous occupe en permanence.
Rester chez soi est mal considéré.
On voit aussitôt, pour une femme par exemple, pointer le spectre de la femme au foyer, la Desperate Housewife, aux prises avec ses frustrations et sa pauvreté intellectuelle, la Pénélope de service, qui attend, attend, attend… Être casanier est presque toujours jugé négativement. Il est important, je pense, de réhabiliter le « vivre chez soi ». Le reconsidérer, le valoriser, le déculpabiliser.
Ce temps chez soi permet de se retrouver avec soi, pour ensuite mieux vivre les rapports sociaux. Un temps de recul est pris, qui facilite les liens entre l’intérieur et l’extérieur. Ainsi recentré, on est plus « frais », plus accueillant pour ce qui vient de l’extérieur. On se sent aussi plus libre, moins « collé » aux actualités, aux pensées des autres. On est plus réfléchi, moins réactif.
Ainsi, ce temps n’est pas synonyme de repliement sur soi. Au contraire, cultiver le bien-être chez soi, et avec soi, entraîne un meilleur contact avec les autres, une plus grande ouverture à l’extérieur.
Ce temps d’intériorité est à habiter de façon intelligente, est à « travailler » en pleine conscience. Encore un travail vous allez me dire. Oui, mais une réflexion intérieure, que vous faites à votre rythme, à votre façon. Un parcours à inventer, à créer, qui se construit pas à pas, au fil du temps (un temps non contrôlé), qui trouve ses repères tout seul, sans forçage, sans cette volonté de maîtrise absolue que l’on plaque souvent sur nos actions. Ce n’est pas un temps d’action, justement. C’est un temps entre les actions. Pour bien agir, il faut savoir ne pas agir. L’action est un choix. On peut choisir de ne pas faire. Mais aimer rester chez soi ne signifie pas immobilisme. C’est au contraire un temps de préparation à la vie active.
De multiples possibilités existent pour enrichir ce cheminement intérieur : méditation, respiration, pratiques corporelles de bien-être, musique, silence, lecture méditative, rêverie, créativité… Tout ce qu’on aime et dans lequel on puise notre énergie de vie.
Le temps chez soi est le temps de l’intime, du jardin secret.
Or, la confidentialité, l’entre soi et soi, est nécessaire à notre liberté d’être. C’est un temps de liberté gagné sur les obligations sociales, le personnage que nous avons créée pour l’extérieur, et auquel parfois nous nous identifions trop. Notre liberté de penser, de créer, d’innover, de nous rebeller, de nous isoler, de nous couper des autres, est la nécessaire condition pour exister de façon cohérente et intègre, pour cultiver l’esprit critique et la bonne santé des rapports sociaux. Nous autoriser à ne pas nous soumettre à l’aspect extrêmement normatif de la morale sociale.
Le temps file, nous courons après lui. Stopper la course pour se poser est indispensable. La bulle protectrice de notre chez soi, entourée de murs, protégée par un toît, nous est nécessaire pour nous construire, pour nous recréer, pour ne pas nous perdre complètement dans la fébrilité du monde.
Le chez soi est un refuge : être chez soi c’est être accueilli quelque part. On profite parfois de l’été, pause avant la rentrée, pour changer de logement. Chercher, trouver un chez soi, est trouver un lieu d’accueil, pour vivre ce qu’on a à y vivre, dans une certaine durée. C’est se projeter à cette place, ce lieu d’ancrage, à partir duquel on partira, on ira au-dehors, travailler, ou voyager, mais dans lequel on reviendra. Dans le partir, il y a l’idée du retour chez soi. (Sauf pour les vrais baroudeurs, qui transportent leur chez-eux autrement, avec eux…)
De plus, les échanges au quotidien sur les réseaux sociaux et les téléphones portables nous ont amené à créer une autre identité, où le social et le privé s’emmêlent, ce qui nous oblige à penser notre intimité, notre chez-soi autrement.
Donc si vous restez chez vous cet été, ne vous morfondez pas, bien au contraire ! Profitez de cette pause pour vivre, respirer, juste être là, consciente d’être là, en lien avec le monde, l’extérieur, en lien avec l’intérieur, vos pensées, votre énergie vitale…
« Ce qui est en jeu, de toutes façons, c’est l’intimité avec soi et avec la vie, l’intimité avec la nature universelle à laquelle nous appartenons, et que nous sommes venus exprimer, l’intimité avec notre individualité profonde qui appelle nos talents, nos dons, et nos goûts. » Guy Corneau, Revivre !, Les Editions de l’Homme, 2010.