Retour à Cuba - Laurent Bénégui

Dans Retour à Cuba, Laurent Bénégui part avec sa compagne et ses deux filles sur la terre de ses ancêtres et cette quête débouche sur la rédaction d’un livre. Ce roman captive autant qu’un polar palpitant.

 
Retour à Cuba Laurent Bénégui

Retour à Cuba : résumé

À sept ou huit ans, Laurent apprend que son grand-père, après avoir été gazé pendant la première guerre mondiale, s’est installé à Cuba. Il y a fait fortune grâce à la culture du café et meurt là-bas en 1931. Dans les années soixante, les parents du jeune Laurent l’emmènent en vacances chez son oncle, Jean Bénégui dit Pipo, qui a repris l’exploitation jusqu’à ce qu’elle soit nationalisée par la révolution castriste qui l’empêche également de quitter l’île. Laurent, devenu adulte, se souvient d’un homme qui tire avec une kalachnikov sur des cocotiers pour en faire tomber des fruits, ce guérilléro n’étant rien d’autre que Raûl Castro, le cadet de Fidel. La branche de la famille restée à Cuba finira par rentrer en France et sera accueilli à Paris dans le restaurant de Léopold Bénégui, le père de Laurent. Les frères, pourtant réunis, vont se fâcher pour des raisons mystérieuses sans se réconcilier avant de mourir.

Laurent souscrit à la légende, une fulgurante ascension sociale dans les Caraïbes suivie d’une faillite retentissante. Il devient écrivain et tout bascule lors d’une séance de dédicace à Besançon. Au cours d’une conversation badine avec un de ses amis dans laquelle il évoque la saga cubaine, quelques certitudes volent en éclat. Dès lors, il cherche à lever les secrets, interview les survivants, recrée les chainons manquants et finalement part avec sa compagne et ses deux filles sur la terre de ses ancêtres. Cette quête débouche sur la rédaction d’un livre, qui précisément justifie le titre : Retour à Cuba.

Retour à Cuba, Laurent Bénégui, éditions Julliard, paru le 21 janvier 2021, 308 pages, 20€. En vente sur Fnac, Cultura, Decitre.

La bande annonce du livre Retour à Cuba :

L’auteur : Laurent Bénégui

Jeune diplômé en médecine, Laurent Bénégui exerce quinze jours et prend conscience de son erreur. Il change de voie et rédige quatorze romans, Le mari de la harpiste, Mon pire ennemi est sous mon chapeau, SMS… Il a produit en outre de nombreux films, écrit des scénarios et signé, en tant que réalisateur, quatre long métrages et une comédie musicale pour la télévision.

Notre avis

Laurent Bénégui adopte, par rapport à ses œuvres précédentes, une construction radicalement différente. Il n’a pas cherché à créer un double qu’il appelle Laurent comme dans Le jour où j’ai voté pour Chirac. Ici, il se met lui-même en scène et raconte ses errements, ses doutes dans la recherche d’une histoire authentique de ses origines. On pourrait penser au premier abord, que c’est une simple transmission pour les nouvelles générations de Bénégui, un sauvetage des souvenirs récupérés dans la mémoire de nonagénaires en les consignant sur papier. Or, sur la couverture, l’éditeur stipule en noir sur blanc, la nature du volume : roman. Les pages sombres, la vérité inaccessible, l’auteur les invente et fait ressurgir avec son talent de conteur un temps définitivement révolu. Il s’en explique à la fin de l’ouvrage : Ne me demandez pas ce qui est vrai, ce qui est faux. Je n’en suis plus certain. Je sais seulement que je n’aurais jamais pu tisser les fils du réel et de l’imaginaire sans le concours de ceux qui en ont dévidé les bobines avec patience. Il réussit admirablement ce perpétuel va-et-vient entre le présent, un roman en gestation, et le passé somptueusement réinventé.

Je ne résiste pas à la tentation de citer un passage où l’auteur ressuscite avec brio son aïeul au front pendant la Grande guerre : Léopold acquiesça. Les boutons de sa capote boueuse étaient noircis au cirage, ainsi que l’étaient la boucle en cuivre de son ceinturon et tout ce qui brillait sur l’habit. Lors de l’assaut, quand des centaines d’hommes se ruaient hors des tranchées, il suffisait d’un éclat de soleil sur une pièce métallique pour attirer l‘attention des Boches, et on se prenait une balle à la place du voisin. L’uniforme clinquant comme à la parade vous tuait. Alors, les soldats préféraient devenir des ombres, des morts avant la mort, leur casque en acier matifié de boue, les bandes molletières talées de croûtes et des taches foncées du sang de ceux qui avaient eu moins de chance.

Ce roman captive autant qu’un polar palpitant. Certes, il n’y a ni crime ni assassin, mais Laurent Bénégui suscite l’intérêt du lecteur en créant des surprises. Il nous convie à écouter une conversation des plus anodines au cours du salon du livre à Besançon, lorsque soudain un détail, un infime grain de sable fait effondrer une légende familiale trop facilement acceptée. Une seule phrase suffit à faire rebondir le roman. De même qu’un enquêteur va nous mener sur des fausses pistes, Laurent Bénégui nous amène sur plusieurs explications de la brouille séparant les frères pour mieux les démentir quelques pages plus tard.

Par de très belles descriptions, Laurent Bénégui nous plonge dans l’univers exotique des plantations de café. Voici ma préférée : Au mois de mars, les fleurs de café éclosent en une nuit. Un matin, tout fut blanc. Le domaine semblait couvert de neige. Sous les frondaisons épaisses des acajous et des avocatiers, les grappes couleur de nacre faisaient ployer les alignements de caféiers. Elles exhalaient un parfum suave d’orange et de jasmin mélangés que concentraient l’ombre et l’humidité remontée de la terre. Cet hiver ne dura que vingt-quatre heures, et déjà les boutons laissaient place aux fruits, de petites cerises vertes qui allaient mûrir lentement, en abritant deux fèves.

Comme toujours avec Laurent Bénégui, il ne faut pas se contenter d’une lecture superficielle. Il défend l’idée singulière du peu de liberté de l’auteur face à son intrigue : c’est elle qui le choisit et non le contraire. Subtilement, se trouvent en filigrane des considérations sur l’émigration. Loin de théoriser sur un sujet sensible, il rappelle que beaucoup d’entre nous sont issus de l’immigration et que celle-ci a pu prendre des visages plus insolites tels ceux des Basques fuyant les conditions de vie misérables du Sud-Ouest pour tenter fortune vers le continent américain.

L’auteur a réussi un remarquable équilibre : dialogues et galerie de portraits, épopée familiale qui croise à de nombreuses reprises l’Histoire, des anecdotes historiques et le récit de la vie quotidienne sous le régime de Fidel Castro, le tout saupoudré de délicates pincées de l’humour caractéristique de l’auteur. Personnellement, un coup de cœur.