Par décision rendue le 10 mars 2015 (n°14793/08) la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la Turquie avait violé un droit à la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en n’autorisant pas une transsexuelle à changer de sexe au motif qu’elle pouvait encore procréer. En résumé, le fait d’imposer l’infertilité du demandeur méconnaît le droit au respect de la vie privée.
Une décision d’importance
Cette décision est d’importance car, d’habitude, en l’absence de consensus entre les États membres, la Cour européenne se trouve limitée sur les questions de société. Sur la question du transsexualisme, elle imposait déjà à tout État membre de reconnaître l’identité sexuelle de tout transsexuel converti et d’en tirer les conséquences utiles notamment du point de vue de l’âge de départ à la retraite.
Elle va ici plus loin en se prononçant non pas uniquement sur la question de la conversion et non pas uniquement sur ses conséquences.
S’il est vrai que l’identité sexuelle coïncide la plupart du temps avec l’identité civile, ce n’est pas toujours le cas. Il peut arriver qu’une personne souhaite mettre en concordance son sexe apparent avec celui qu’elle considère « d’appartenance ». Le problème du changement de sexe est qu’il se heurte à des principes ancestraux du droit tels que l’indisponibilité du corps humain ou l’interdiction de la castration en l’absence de nécessité thérapeutique (article R.4127-41 du Code de la Santé Publique).
Petit rappel, comment change t-on de sexe, juridiquement, bien entendu ?
Pour un transsexuel, le changement d’état civil est un acte juridique fait auprès du Tribunal de Grande Instance de sa région ou de son lieu de naissance, demandant à ce que la mention du sexe et le prénom soient rectifiés sur l’acte de naissance. Mais cela s’avère un parcours du combattant.
En France, jusqu’en 1979, l’opération de réassignation sexuelle était interdite en France. L’article 316 du Code pénal (ancien) qualifiait de castration l’opération des transsexuels, ce crime étant passible d’une peine d’emprisonnement à perpétuité. (De quoi décourager les médecins d’opérer.)
La situation s’est améliorée en 1992. Ainsi, condamnée (affaire BOTELLA) par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour ne pas avoir rectifié l’état civil d’un transsexuel sur le fondement du droit au respect de la vie privée (le même que celui utilisé aujourd’hui par la Cour), la France s’est inclinée et la Cour de cassation a accepté la modification d’état civil pour les transsexuels (Assemblée plénière 11/12/92).
Mais, chaque région avait sa propre jurisprudence en la matière créant une grande inégalité entre tous, tant dans le temps de la procédure que dans son jugement.
Aussi, une circulaire du Ministère de la Justice du 14 mai 2010, très suivie aujourd’hui, est venue unifier quelque peu la situation, en prévoyant que les juges peuvent « donner un avis favorable à la demande de changement d’état civil dès lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive, associés, le cas échéant, à des opérations de chirurgie plastique (prothèses ou ablation des glandes mammaires, chirurgie esthétique du visage…), ont entraîné un changement de sexe irréversible, sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux » et que les magistrats ne devront « solliciter d’expertises que si les éléments fournis révèlent un doute sérieux sur la réalité du transsexualisme du demandeur ».
Dans tous les autres cas, les juridictions sont désormais appelées à fonder leur avis « sur les diverses pièces, notamment les attestations et comptes rendus médicaux fournis par le demandeur à l’appui de sa requête, qui engagent la responsabilité des praticiens les ayant établis ».
La situation s’est améliorée peu à peu.
Un pas en avant avec la décision de la Cour européenne
Aujourd’hui un autre pas est franchi par la Cour européenne qui, grâce à cette décision, invite les États européens à repenser la question même du transsexualisme.
Mais attention, cela ne signifie pas que la Cour européenne interdise dorénavant toute restriction préalable au changement de sexe, ainsi la France pourra encore, pour l’instant, continuer à imposer à l’individu qui souhaite changer de sexe de prouver son syndrome de transsexualisme.